OÙ SE CACHE LA CULTURE DE L’AUTRE? (À PROPOS DE L’ACQUISITION D’UNE CULTURE ÉTRANGÈRE DANS UN MILIEU MULTICULTUREL ET PLURILINGUE, AVEC UNE ORIENTATION SOCIOLINGUISTIQUE)
S.B. Pouchkova
La culture comportementale parvient petit à petit à se faire reconnaître et à s’imposer auprès de la culture savante. Cette culture est appelée par R. GALISSON « partagée » car la majorité des natifs la maîtrisent. Elle sert de signe de reconnaissance entre les individus de la même identité collective. C’est un modèle de conditionnement dans les situations grégaires de la vie courante. Si cette culture est acquise par les locuteurs natifs, elle pourrait être apprise par des apprenants étrangers et enseignée en cours de FLE.
Mots clés : culture comportementale, culture partagée, culture acquise, intégration de langue/culture, mots à charge culturelle partagée.
Aujourd’hui les relations entre pays de cultures différentes ne cessent de se développer. Il s’agit des voyages, des échanges commerciaux, du tourisme, des congrès scientifiques ou professionnels qui multiplient ces occasions de contact. On porte les mêmes jeans, on suit les mêmes modes, on écoute les mêmes musiques et on se passionne pour les mêmes stars du sport, du cinéma ou de la chanson.
Cependant, pourrait-on vraiment parler d’une ouverture à l’altérité culturelle et d’une communication authentique? Les problèmes de l’immigration, les affrontements idéologiques, nationaux ou religieux font de sorte que la communication interculturelle devienne un enjeu et un défi pour le monde actuel. Combien de temps faudrait-on mettre pour que les personnes issues des cultures différentes apprennent à communiquer entre eux, à mieux se connaître et à se découvrir au-delà des préjugés, des stéréotypes et des clivages de leurs origines?
Notre étude de recherche porte sur la compréhension de la culture de l’Autre à travers les mots à Charge Culturelle Partagée, de vrais porteurs de cette culture. Il s’agit du cas des personnes immigrées adultes, issues des cultures différentes mais installées sur la même terre d’accueil, en France. Nous estimons que c’est à condition de maîtriser la langue et la culture du pays d’adoption qu’on puisse se sentir égal à son interlocuteur, sans avoir peur de ne rien comprendre ou de ne pas être compris. Il ne s’agit pas pour l’apprenant en langue étrangère d’accumuler des connaissances linguistiques parallèlement à celles culturelles. Il serait envisageable de dire que le but visé est plutôt le développement des capacités culturelles : capacités comportementales et/ou intellectuelles, verbales et/ou non verbales, etc… ; et surtout les capacités qui contribueraient à l’acquisition de la langue en tant que pratique sociale.
Dans ce cas-là, l’étude des mots à C.C.P. nous semble-t-il une ligne directive dans l’enseignement des langues- cultures étrangères. Quant aux attentes et aux aspirations du public étranger dans le domaine de la culture, il faudrait dire que les apprenants étrangers n’ambitionnent pas de passer pour des natifs, mais plutôt d’être acceptés pour ce qu’ils sont. Dans ce cas-là, la culture de la langue étudiée pourrait être une clé magique pour la compréhension des Autres et pour être compris par eux.
Le point d’ancrage de notre étude de recherche est l’idée de Robert GALISSON sur la Culture savante et la culture partagée, la Culture acquise et la culture apprise. Il a postulé « l’existence d’une culture partagée par les individus qui vivent sous les mêmes lois, dans le même groupe social et qui partagent déjà une langue… Conjointement avec la langue partagée, la culture partagée sert donc d’identificateur aux individus du groupe ». [R. GALISSON, 1987 :125].
D’après R. GALISSON, la culture partagée n’a pas encore été décrite parce que les natifs l’acquièrent … « naturellement », mais que l’on pourrait la décrire, et qu’elle pourrait être enseignée / apprise… « scolairement » par les étudiants étrangers. R. GALISSON fait l’hypothèse qu’il serait possible d’observer ou de décrire certains faits culturels, en observant ou en décrivant certains mots- porteurs de la Charge Culturelle Partagée qui est la valeur ajoutée à la signification première du mot. Dans ce cas- là, la langue est à la fois objet et outil de description. Il serait envisageable de penser qu’ à ce niveau la langue et la culture feraient une unité et par conséquent, l’intégration de la culture à la langue dans l’enseignement ne serait pas une utopie.
Les objectifs déclarés au départ de notre étude de recherche étaient les suivants:
1. La réhabilitation de l’image du vocabulaire dans l’enseignement/ apprentissage des langues et des cultures. La didactologie/ didactique des langues/ cultures les a négligées depuis longtemps, sous le prétexte que le lexique n’est pas structurable comme la phonétique, la morphologie ou la syntaxe et par la suite il n’a pas de forme didactique réglée. Au contraire on voudrait montrer sa vraie place au centre du dispositif d’enseignement/ apprentissage des langues et cultures. La place du vocabulaire n’est pas suffisamment pris en compte dans les différentes stratégies d’enseignement/ apprentissage des langues et cultures étrangères, pourrait- on espérer amener réellement les apprenants à la maîtrise de ces langues/ cultures ?
2. L’intégration de la langue et de la culture dans un même enseignement/ apprentissage. Il nous semble indispensable de montrer que le vocabulaire joue « le rôle de passerelle entre la langue, toute pavée de mots, et la culture (en particulier la culture comportementale commune), omniprésente dans les mots à charge culturelle partagée » [R. GALISSON (1991 :3)]. En affirmant que la langue est toute imprégnée de culture, pourrions-nous dire que c’est grâce aux mots qu’on acquiert des faits culturels ? Est-ce que les mots sont les éléments premiers dans l’acquisition des langues et des cultures ? Par suite, ces mêmes mots, sont- ils indispensables aussi bien aux niveaux de l’information que de la communication ?
3. On voudrait démontrer les moyens par lesquels serait- ce possible d’enseigner/apprendre des mots-porteurs de culture, à savoir le rôle du dictionnaire spécifique contenant des mots à Charge Culturelle Partagée.
Dans notre étude de recherche nous avons essayé de trouver les pistes de réponses sur les questions portant sur l’acquisition d’une culture étrangère par le biais des mots à Charge Culturelle Partagée. Si la culture est acquise par les locuteurs natifs d’une manière implicite, pourrait- elle être apprise explicitement par le public étranger ? Si oui, par quels moyens ?
Effectivement, en acceptant l’existence d’une culture partagée par les individus vivant dans la même communauté linguistique, on pourrait admettre le fait que la langue partagée est indissociable de la culture partagée. C’est cette culture qui dirige la plupart des attitudes, des comportements, des représentations, et des coutumes auxquelles les membres de la communauté obéissent.
Contrairement à la culture savante (qui est apprise à l’école), la culture partagée est une culture acquise : la culture de base devient la culture partagée dans la mesure où elle appartient à tous et sert à comprendre et à se faire comprendre dans la vie quotidienne. Dès le plus bas âge on assimile progressivement les règles de comportement, des conduites de la société durant toute la vie. Il est possible d’acquérir la culture partagée partout : en entrant en contact avec les autres, dans les relations sociales, familiales, dans la presse, à la télé : (la manière de se tenir à table, la façon de manger, de s’habiller, de regarder les locuteurs, de les saluer, d’entrer en contact avec eux afin de retrouver les mêmes valeurs, les mêmes représentations et les mêmes croyances etc.). La culture partagée est implicite. Elle s’inscrit jour après jour dans notre comportement, dans nos manières de voir et percevoir le monde autour de nous. Cette idée rejoint une autre, celle de R. GALISSON lorsqu’il résume qu’ « avec la langue commune, partagée par le plus grand nombre, la culture partagée conditionne l’appartenance des individus au groupe. Elle est donc un identificateur collectif, mais aussi un ingrédient majeur de la compétence communicative et de l’échange complice. Par ailleurs, la lexiculture constitue un passage prioritaire vers la culture partagée, dans la mesure où celle-ci se dépose et fait trace sur certains mots, répertoriables dans un dictionnaire » [R. GALISSON, 1887 :131].
En nous basant sur notre expérience dans le FLE nous pouvons confirmer que lors de la communication le public étranger éprouve un véritable manque de connaissances de cette culture partagée des natifs, en plus de la langue. Les apprenants étrangers ont du mal à comprendre les mécanismes des attitudes, des comportements, des représentations et des coutumes des locuteurs natifs s’ils ne font pas allusion à leurs propres cultures. Si les locuteurs natifs acquièrent la culture partagée d’une manière implicite, le public étranger désireux d’apprendre la culture de la langue cible pourrait obtenir ces connaissances culturelles de façon explicite : décrites et expliquées par les enseignants en classe de langue. On pourrait dire que les mots à Charge Culturelle Partagée attirent une certaine forme de culture. Cela veut dire que ces mots sont repérables et observables et comme le souligne R. GALISSON, « … inventoriables et descriptibles… ils peuvent faire l’objet d’un dictionnaire » [R. GALISSON, 1987 :129]. Dans ce cas-là le dictionnaire des mots à Charge Culturelle Partagée serait un outil indispensable dans l’acquisition de ces compétences socioculturelles. C’est un moyen le plus adapté pour la description et la compréhension de la culture de l’Autre. Ce serait un outil de découverte systématique de l’information culturelle.
Dans le cadre de notre étude on a pu observer plusieurs mots de la langue française possédant selon nos recherches une certaine charge culturelle. On pourrait dire que la charge culturelle des uns est plus lourde que la charge culturelle des autres. Après avoir analysé les résultats de notre enquête auprès des locuteurs natifs et non-natifs, on pourrait confirmer que certains mots arrivent à réunir dans leurs structures une telle concentration des charges culturelles qu’ils deviennent reconnus comme porteurs de la Charge Culturelle Partagée, ayant des fonctions spéciales, liées à cette charge culturelle, alors que d’autres, figurés dans la même catégorie par leurs racines génétiques ont certes quelques charges culturelles que l’on reconnaît mais pas assez pourtant pour que l’on puisse reconnaître les mêmes qualités des charges culturelles partagées comme dans le cas de leurs homologues premiers cités.
Par exemple, les mots, tels que, agneau, âne, argent, baptême, bûche, carotte, chat, chandeleur, chien, chrysanthèmes, cigogne, cloches, crêpe, cruche, dinde, dragée, épiphanie, fève, foie gras, galette, huîtres, loup, muguet, œuf, oignon, ours, paon, pâques, poisson, renard, requin, sapin, soupe, tomate, tortue, trèfle, treize, truffe, vache etc. ont démontré une « lourde » charge culturelle partagée.
Tandis que les autres, connus également par tout le monde n’ont pas ce potentiel. Il s’agit des mots comme bled, belle-mère, bonjour, chez-moi, dessert, dimanche, dodo, famille, HLM, impôts, ramadan, rentrée, repas en famille, table, tasse, thé, vacances, voisin, week-end, yacht etc.
Dans le premier cas on voit des mots dotés d’une forte Charge Culturelle Partagée connue par la majorité des témoins natifs. On pourrait penser que ce serait dû à la catégorie d’occurrences lexicologiques à charge culturelle partagée spéciale ou bien dû aux types d’événements particuliers qui ont concouru à leurs structurations, à leurs formations (facteurs historiques, sociolinguistiques, étymologiques etc.)
Cela se produit grâce:
à l’usage des connaissances de la vie quotidienne : apéritif, argent, carotte, carpe, cruche, échelle, épinard, lundi, oignon, salade, soupe, tomate, truffe, vache etc.
aux traditions, aux coutumes répandues dans la société, aux fêtes et ses mots évocateurs : agneau, baptême, bûche, carnaval, chandeleur, chrysanthèmes, citrouille, cloches, crêpe, dinde, dragée, épiphanie, fève, foie gras, galette, huîtres, muguet, Noel, œuf, pâques, poisson, rameaux, réveillon, sapin etc.
au comportement dans la société admis ou non comme norme : abeille, âne, blonde, chat, chien, cochon, coq, fourmi, lapin, loup, marmotte, narcisse, oie, oignon, ours, paon, pie, renard, requin, souche, taupe, tortue etc.
aux croyances et aux superstitions : agneau, araignée, cigogne, coccinelle, corbeau, croix, feu(x), foudre, gui, marguerite, mouton, rose, rouge, sel, tombe, tonnerre, trèfle, treize, vendredi etc.
aux produits de terroir, spécifique pour une région : caviar, champagne, choucroute, crêpe, croissant, fromage, madeleine, moutarde, nougat, quetsche, quiche etc.
Dans le deuxième cas nous avons affaire à des mots dont la charge culturelle est plus individuelle que collective. Il n’y a pas de doute qu’après avoir entendu le mot « table » chaque personne mobilise sa propre représentation de cet objet. Un Russe voit une table de bois massif près de la fenêtre. Pour un Français ce mot évoquerait une petite table ronde sur la terrasse d’un café ou au milieu du salon où se passent les repas de famille. Un Turc verrait plutôt une table basse, avec plusieurs coussins par terre autour. Mais même au sein de chaque culture il existe des représentations tout à fait différentes, selon l’âge, le sexe, le statut social etc. Ces mots évoquent en nous quelque chose de personnel, d’intime qui ne pourrait pas être partagé d’une manière collective mais plutôt de façon subjective et individuelle. Ainsi, la jeune génération ne connaît pas toujours la Charge Culturelle Partagée de certains mots comme « carotte », « chaussure », « poilu » etc. Tandis que les personnes âgées comprennent à peine les propos de Isabelle Adjani « Quand à 14 ans on est cinglée de Racine, Shakespeare et Musset, ça ne prépare pas aux boums. Dès le départ, c’était foutu : ma vie ne serait pas « carlabruniesque » ! (Téléstar du juin 2010).
Le public étranger comprend encore moins. Pendant la journée doctorale du 29 mai 2010 une intervenante est en train de faire un exposé sur le programme d’ « Erasmus » proposé pour les étudiants européens. Elle dit que la destination préférée des étudiants reste depuis longtemps l’Espagne. Un fou rire parmi les étudiants français. Des étudiants étrangers sourient plutôt par politesse ou par peur de paraître ignorants mais l’explication est évidente pour les natifs de langue : un filme « Auberge espagnole » où il s’agit des aventures amoureuses des étudiants partis en Espagne grâce à ce programme universitaire. Ceux qui n’ont pas eu l’occasion de voir ce film ne peuvent pas comprendre la situation.
Il existe un certain nombre de mots (substantifs en particulier) qui sont plus souvent mobilisés dans la langue plutôt grâce à leur C.C.P. qu’à leur signifié. Ce sont des vocables qui ont évolué vers les C.C.P. grâce aux circonstances, au contexte. On ne voit plus leur signification initiale mais plutôt la C.C.P. On pourrait dire que dans ces cas, la C.C.P. dépasse le signifié et les mots sont largement employés dans le langage au titre de cette valeur ajoutée. Par exemple:
- Allez ! Viens ma puce!
- « Paris Hilton est brillante. C’est une business girl qui a tout compris. Elle joue les cruches, mais ce n’est qu’un rôle, contrairement à l’autre grosse cruche d’Eve Angeli. » (Téléstar juin 2010).
- Tu ne vas pas le lui expliquer quand même ! De toute manière elle ne comprendra pas, c’est une blonde!
- « Et les histoires belges? Pourquoi les Français en racontent ? Ce sont les seules qu’ils comprennent!» (Le Figaro, 26 février 1999).
Durant notre enquête on s’est rendu compte qu’effectivement, il y a un certain nombre de mots à C.C.P. dont les natifs eux-mêmes ne distinguent pas nécessairement leur valeur ajoutée au sens initial du mot! Cependant, dans le cas d’étudiants étrangers de langue- culture trop éloignée on pourrait remarquer plus facilement des mots- porteurs de cette charge culturelle partagée que les Français eux-mêmes ne les perçoivent pas.
Il s’agit des vocables comme alouette, baguette, bateau, belle-mère, bled, bonjour, café, caviar, chat, champagne, chêne, chien, dessert, dimanche, foulard, hirondelle, lune, mouton, orient, pantoufle, ramadan, renard, réveillon, rossignol, sable, serpent, etc.
En prenant en considération toutes les diverses origines des personnes séjournant en France, il serait envisageable de penser que ces mots sont forcément influencés par des vécus des témoins dans leurs pays, par leurs cultures et leurs traditions. On pourrait croire qu’ils transposent la C.C.P. des mots existant dans leurs langues maternelles à des mots français sans penser à leurs connotations authentiques. On voudrait espérer que cette démarche de transposition de la C.C.P. servirait à l’enrichissement et à l’évolution de la Charge Culturelle Partagée. Sinon, on serait obligé de traiter ces lexies comme des mots à C.C.P. assez faible ou maigre car des locuteurs natifs ne la partagent pas forcément.
Après avoir analysé les résultats de notre enquête on a révélé également d’autres mots à C.C.P. maigre, tels comme : artichaut, autruche, casserole, cerise, chapeau, chaussure, chaussette, cygne, diabolo, gorille, HLM, impôts, narcisse, navet, nougat, petit-beurre, poilu, quiche, radis, roquefort, savon, souche etc. Sans aucun doute les mots cités précédemment, sont des mots à C.C.P. Cependant on pourrait supposer que cette faiblesse de la Charge Culturelle Partagée dépend de la fréquence de l’usage des mots en question. Leur C.C.P. pourrait être aussi forte mais uniquement dans des contextes et des circonstances concrètes.
En parlant des difficultés rencontrées durant le travail sur notre étude de recherche on voudrait dire d’abord que c’était assez difficile de cerner la Charge Culturelle Partagée des certains mots. Etant donnée de culture maternelle russe (ou n’importe quelle autre culture d’ailleurs) il s’avère presque impossible de connaître la culture de la langue cible à bout de ses doigts comme on le fait dans le cas des témoins natifs qui acquièrent leur culture progressivement dès leur premier jour de naissance. Il s’agit surtout de la culture courante, celle qui gère et régularise des relations humaines dans la communauté linguistique. Il faudrait une grande motivation, du temps, du sens du contact et de l’intuition pour acquérir les bases de cette culture courante. De plus on avait au départ une fâcheuse tendance de faire le recours à notre culture maternelle en cherchant une valeur ajoutée à la première signification du mot ce qui freinait d’une certaine manière nos recherches. De l’autre côté cela nous a aidé à mieux cerner et à distinguer la C.C.P. des mots que les locuteurs natifs ne s’aperçoivent pas forcément. C’est le cas des mots dont les signes possèdent les traits distinctifs universels et individuels en même temps, par exemple : maison, table, belle-mère, café, thé etc. C’est ainsi qu’on pourrait expliquer cet écart par rapport à notre attente de trouver beaucoup plus de mots –porteurs des implicites culturelles tandis que des témoins natifs n’y voyaient pas grand- chose.
Dans le but d’établir la nomenclature des mots à C.C.P. pour le dictionnaire en question on est parti des démarches sémasiologiques. On a privilégié cette méthode en faisant plus de confiance à des dictionnaires déjà existants qu’à notre propre intuition. Cela s’explique par le manque d’une vision globale du vocabulaire français et par des lacunes dans les connaissances implicites de notre part. On a consulté le Petit Robert contenant 30 000 mots et le Dictionnaire culturel et langue française qui a apparu en 2005 sous la direction de Alain REY. Ce dernier présente plus de 70 000 mots du français classique, moderne et très contemporain, avec leur origine, leurs sens et leurs emplois clairement définis, illustrés de nombreuses citations littéraires ainsi que plus de 1 300 articles développant l’histoire et l’état présent des idées, des savoirs, des symboles etc. Cependant, il faudrait dire que c’est plutôt la culture savante ou la culture dite cultivée qui est largement présentée à travers les mots dans ce dictionnaire. On avait besoin de la culture courante possédant des mots où la C.C.P. relève du domaine de la pragmatique (et de l’anthropologie culturelle), puisqu’elle est le produit des relations qu’entretient le signe avec ses usagers. Dans ce but également on estime qu’il serait plus judicieux de mener ce genre de recherche en binôme avec un/une collègue natif de langue qui pourrait mieux « sentir » et saisir l’implicite, présent dans des mots.
Peut-on imaginer, dans ce cas-là, des stratégies d’enseignement/ apprentissage de la langue-culture qui puissent être envisagées et introduites opportunément dans la classe de langue ? D’après notre expérience de l’enseignement du FLE et selon nos observations des communications interculturelles de nos apprenants, nous pouvons remarquer que souvent pour les étudiants étrangers en français, ce n’est pas la connaissance des formules linguistiques qui leur manque, mais plutôt l’implicite de ces formules et leurs variations selon la situation et le contexte culturel. Vu l’importance de l’implicite et sa complexité dans la communication interculturelle, l’enseignement/apprentissage des langues-cultures doit ne pas se contenter d’enseigner/apprendre l’explicite mais aussi l’implicite. L’objectif est d’apprendre et d’acquérir un « système de références culturelles qui structure le savoir implicite et explicite acquis pendant l’apprentissage linguistique et culturel et qui intègre les besoins particuliers de l’apprenant dans les situations d’interaction avec les natifs de la langue étrangère »- trouvons nous la confirmation de nos réflexions chez M. BYRAM, G. ZARATE et G. NEUNER. [M. BYRAM, G. ZARATE et G. NEUNER, 1998 :79].
Les démarches suivantes pour un enseignement de l’implicite nous paraissent nécessaires:
1. D’abord, il faudrait que l’enseignement cherche à faire prendre conscience aux apprenants de l’importance des implicites dans leur apprentissage d’une langue étrangère, à les sensibiliser non seulement au sens littéral mais également au sens implicite et à l’intention des interlocuteurs et à leur faire comprendre que « la seule compréhension du système des signifiants ne permettrait d’accéder qu’à un seul aspect de la logique. Les signifiants sont les supports de signifiés. La substance du signifié est un contenu émotionnel et idéologique. Cette approche nous permet d’accéder à ce que E. DURKHEIM appelle « la conscience collective », c’est-à-dire la somme des représentations d’un groupe donné, constitué au fil de l’histoire », comme le soulignent E. PEMBROKE et E. MONTGOMERY. [E. PEMBROKE et E. MONTGOMERY, 1996 :380]. En effet, l’étude de ces sens sous-jacents permet d’aborder les valeurs d’une société. Si l’implicite pouvait être explicité et compris dans chaque situation, bon nombre de malentendus seraient évités.
2. Ensuite, un effort de repérer et expliquer les implicites culturels s’avère indispensable dans l’enseignement des langues-cultures. HALL souligne cette nécessité d’une intervention extérieure lorsqu’il parle de l’inconscient culturel : « Comme l’inconscient de FREUD, l’inconscient culturel est soigneusement caché, et comme les patients de FREUD, nous sommes à jamais mus par des mécanismes qui ne peuvent être examinés sans aide extérieure. » [HALL, 1979 :151]. Et c’est là, dans cette nécessaire intervention extérieure, que se justifie le rôle de nos enseignants qui consiste à apprendre à des apprenants les significations cachées, à les aider à creuser les intentions réelles des interlocuteurs, à décrypter les univers de sens propres à l’autre culture et à mieux connaître la culture de la langue cible.
3. Il faudrait enseigner la langue dans un contexte culturel et communicationnel. Comprendre le signifié, c’est aussi s’imprégner du contexte et tenir compte de la situation exacte. Selon F. CICUREL, « Toute parole, en langue maternelle, et peut-être encore davantage en langue étrangère, ne trouve de sens que dans la dynamique communicative où elle s’inscrit. Tel énoncé, qui semblerait aisément interprétable si on le prend isolément « à la lettre », sera, parce qu’il est formulé ironiquement ou en décalage avec la situation à interpréter autrement, « à contre-emploi » : un « merci » très sec peut exprimer un reproche ou une protestation, un « bravo » doté d’une intonation particulière peut signifier un reproche. Un reproche formulé avec douceur peut aussi exprimer un remerciement. » [F. CICUREL, E. PEDOYA, R. PORQUIER, 1991 :8]. En réalité, un mot n’a son sens que dans un contexte concret. La pédagogie communicative devrait apprendre aux apprenants l’explicite et l’implicite dans le contexte et en situation.
4. Il serait important d’habituer les apprenants à pénétrer de façon systématique dans la signification sous-jacente. C’est-à-dire faire élaborer et mettre en œuvre un système d’observation et d’interprétation des significations et des pratiques culturelles jusqu’alors inconnues. Ce qui permet aux étudiants de développer leur capacité d’observation de l’altérité. Devant la diversité culturelle des messages qui ne leur sont pas habituels, qui sont difficiles à comprendre en situation ou qui diffèrent de leur propre système de valeur, ils ne doivent pas les interpréter ou les juger immédiatement selon leurs normes, mais ils doivent chercher à comprendre le sens caché ou le développement de l’échange pour les comprendre.
Certes, l’enseignement culturel n’est pas une chose facile. Mais ce n’est pas du tout un obstacle insurmontable si l’on se fixe un objectif modeste et réaliste qui est celui de donner à l’apprenant les moyens de comprendre la culture de l’Autre par le biais des mots de la langue et, par conséquent, de comprendre sa propre culture. Ceci prouve que les compétences communicatives mènent à l’acquisition des connaissances et des habitudes socioculturelles, ce qui assure la réalisation des objectifs pas seulement éducatifs et instructifs mais plutôt pratiques et utiles pour la vie. C’est aussi l’une des spécificités de la discipline «langue étrangère».
Pour conclure, nous reprendrons cet appel à la tolérance de R. GALISSON : « Alors, en vue d’ériger un barrage à la barbarie, de « créer » en Europe un espace de justice et de liberté, l’interculturel n’est plus l’outil d’un choix politique, mais une nécessité, une fin en soi pour les vieux peuples pacifiés, qui se lèvent contre la menace de «guerre de civilisation».
Bibliographie générale
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WHERE IS THE CULTURE OF OTHER PEOPLE HIDING? (ON THE ISSUE OF ACQUISITION OF A FOREIGN CULTURE IN A MULTICULTURAL AND MULTILINGUAL ENVIRONMENT WITH REGARD TO SOCIOLINGUISTIC ASPECT)
S.B. Pouchkova
Abstract
The behavioral culture is being gradually acknowledged by the scholars along with the scientific culture. R. Galisson refers to this culture as to “shared” one as the majority of natives identify themselves with it. It serves as a sign of recognition with the individuals of the same community. It is a choice of behavior pattern in everyday life situations. If the natives acquire this culture, it may be acquired by the foreign students as well in the course of studying French as a foreign language.
Key words: behavioral culture, “shared” culture, acquired culture, language and cultural integration, words charged with shared cultural meaning.
Svetlana Pushkova, Doctor of philological science, University of Strasbourg, Strasbourg, France
Доклад С.Б. Пушковой (Франция) / S. Pushkova (France)
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