S. B. POUCHKOVA Docteur de Sciences du langage
svetlanapouchkova@yahoo.fr, Université de Strasbourg, France
Culture de l’Autre à travers des locutions figurées à Charge Culturelle Partagée.
L’expérience pédagogique dans l’enseignement du français langue étrangère prouve que la capacité communicative dont on apprend aux étudiants, ne peut pas être strictement et purement linguistique. Il faut que des savoir- faire culturels et sociaux multiples l’accompagnent ce qui permet aux apprenants de mieux comprendre la société française, sa mentalité, la connaissance des pratiques indigènes. Alors, il s’en suit que la compétence culturelle est aussi importante que la compétence linguistique.
Donc, pour la réussite de la communication qui amène incontestablement vers une meilleure intégration dans la société, il ne suffit pas de posséder seulement des connaissances phonétiques, lexicales et grammaticales de l’interlocuteur, mais il est indispensable d’avoir des connaissances sur ce qui dirige son comportement, ses pensées, sa réaction d’agir. En d’autres termes, l’apprentissage des langues étrangères sous- entend la découverte et l’approche de la conscience linguistique, des mœurs, des coutumes et de la mentalité du peuple dont on apprend la langue.
La connaissance du monde par les êtres humains, les coutumes et les traditions se reflètent dans la culture et se transmettent dans la langue. Mais tout cela peut devenir un grand obstacle dans la communication des peuples différents s’ils ne maîtrisent pas la langue, la culture et comme la suite la mentalité de leurs interlocuteurs. Donc, le dialogue risque de ne pas avoir lieu.
Par exemple, en cours de langue on donne aux apprenants quelques informations sur le personnage historique de Henri IV, mais en général sa personnalité n’est associée qu’à des images comme « la poule au pot », « le vert galant », « Paris vaut bien une messe », c’est- à- dire des faits connus par tout le monde. Mais dans la plupart des cas on se contente d’une simple constatation de faits historiques, culturels sans faire découvrir aux étudiants les significations supplémentaires connues des natifs, par exemple, « Paris vaut bien une messe ! » en parlant d’une bonne affaire ou « mettre la poule au pot » en évoquant l’aisance à la maison. On enseigne des connaissances universelles qui, malheureusement, n’amènent pas les étudiants étrangers à comprendre et à mieux maîtriser les faits culturels de tous les jours, à être de vrais partenaires dans des situations de communications au sein du pays de la langue cible.
Donc, nous ne sommes pas d’accord avec une tendance à enseigner seulement des unités culturelles fondamentales qui résultent d’une somme des connaissances acquises. Cette tentative risque de ne retenir que des réalités géographiques, historiques, socio- économiques, artistiques, etc. Par contre notre objectif est de donner aux apprenants des compétences socio- langagières qui pourraient les aider dans la communication de tous les jours avec des porteurs de la langue sans aucun malentendu culturel. Donc il est nécessaire de leur donner des moyens viables, liés à la mode de vie quotidienne des natifs, par le biais desquels les étudiants seraient capables d’affronter des pièges culturels et d’être des communicants égaux dans les interactions avec des porteurs de la langue.
Dans chaque société il existe une échelle de valeurs ajoutées pour certains mots dits plus culturels que les autres : (mots à C.C.P., mots- valises, expressions imagées). C’est pour cela qu’au début de l’apprentissage les étudiants étrangers ont du mal à comprendre pourquoi on dit souvent « la carte bleue » au lieu de « carte de crédit », ou « la carte grise » pour la carte d'immatriculation du véhicule. Pourquoi recourt- on à l’expression « dormir comme une marmotte » pour désigner une personne qui abuse de cette occupation, ou dit- on « c’est un vrai coucou » de quelqu’un qui a abandonné ses enfants ? On dit « ça me fait plutôt une belle jambe » pour manifester l’indifférence. Pourquoi en expriment notre attitude envers telle ou telle situation on emploie les mots « oh, la vache, oh, la purée, mince, alors… ? »
Exactement, si l’on observe les relations entre le vocabulaire et la culture de la langue cible, on se rend compte que certains mots ne se traduisent pas directement par leur sens enregistré dans le dictionnaire et qu’il faut chercher leurs significations dans les phénomènes culturels. On admet que les emprunts, les néologismes, les mots « à la mode » constituent des traces de certains faits de société, actuels ou passés, donc il est possible de les considérer comme de petits indices de relations interculturelles. De toute façon on peut constater que le lexique représente un lieu privilégié de culture dans la langue : l’environnement, les pratiques sociales, les techniques, les croyances d’une communauté humaine sont exprimés par les mots. La présence ou l’absence, la richesse ou la pauvreté de certains mots dans la société expriment les mœurs et la vision du monde d’un peuple.
Il existe des mots ou groupes de mots qui sont plus que d’autres porteurs d’une implication culturelle. C’est ce que R. GALISSON appelle des mots à Charge Culturelle Partagée. Pour les étrangers apprenant la langue le but essentiel est de comprendre leurs interlocuteurs, d’entrer en contact avec eux, de retrouver dans leur comportement et dans leur mentalité des éléments familiers, d’en découvrir de nouveaux.
Il est indiscutable que certains éléments culturels apparaissent dans l’encodage des messages verbaux à l’intérieur d’une communauté linguistique. Dans la plupart des cas, ils peuvent être incompréhensibles sans la connaissance des faits culturels qui les relient dans un contexte socio- culturel du pays dont on apprend la langue/ culture. On comprend bien que les proverbes, les paroles des chansons célèbres, les titres de films, etc. font partie du champ sémantique de chaque langue. Sans aucun doute, leur ignorance dans l’enseignement/ apprentissage des langues et cultures étrangères signifie la privation de l’apprenant d’une fonction référentielle importante et ce qui peut rendre difficile la compréhension mutuelle entre les apprenants et les natifs.
Evidemment il ne s’agit plus de séparer l’enseignement/ apprentissage langue et culture. Il est indispensable d’effectuer leur approche de pair, d’accéder à la culture partagée par la langue, en particulier parle lexique. On peut supposer également que si la langue est toute pénétrée de culture, celle-ci ne l’est pas de la même façon. C’est que les mots sont considérés comme lieux de pénétration privilégiés pour certain domaines de cultures qui s’y déposent ; ensuite, ils finissent par y adhérer, et apportent ainsi une autre dimension sémantique à celle ordinaire qui existe déjà.
De plus, à l’heure actuelle il y a autant de demandes à ce sujet de la part des étrangers qui viennent de s’installer en France, ont signé ce fameux contrat C.A.I. (contrat d’accueil d’intégration) et qui aimeraient comprendre et surtout connaître la culture du pays où ils envisagent de vivre. Si parfois leur niveau de langue est vraiment haut (le cas des Algériens, des Marocains ou ceux qui ont appris le français dans leurs pays), le domaine des connaissances culturelles laisse beaucoup à désirer. Quand même il faut tenir compte que la culture partagée présentée à l’aide de la C.C.P. a un nombre restreint de mots. Le « défaut » des dictionnaires de langue consiste à ce qu’ils font beaucoup plus de place au contenu encyclopédique qu’au celui de culture. Prenons quelques exemples pour confirmer cette idée, empruntés de l’article de R. GALISSON « Accéder à la culture partagée par l’entremise des mots à C.C.P. Bien sûr les Français le savent, c’est une connaissance implicite. Mais comment un étranger pourrait-il le savoir si tout simplement cet objet n’existe pas dans son pays, ou s’il a une autre signification etc. Malheureusement cet étranger ne peut rien trouver dans les dictionnaires de langue puisque ceux- ci ne sont pas censés donner ce genre d’informations culturelles et langagières. Dans ce cas-là nous pourrions affirmer qu’un dictionnaire de culture partagée ne ferait pas une concurrence au celui de langue parce qu’ils dirigeraient des domaines différents.
On peut supposer que la C.C.P. est un contenu qui pour forme le signifiant du signe. Il y a beaucoup de mots qui sont mobiles grâce à leur C.C.P. et non pas à leur signifié. Toujours chez R. GALISSON on trouve :
-« Mange ta soupe pour devenir comme Papa » ;
-« Quelle pie ! » ;
-« Ah ! le cochon ».
Dans ces phrases le signifié est complètement neutralisé au profit de la C.C.P. Pour comprendre le vrai sens de ces expressions il est nécessaire de savoir :
-que la soupe est censée faire grandir ;
-que la pie est supposée bavarde ;
-que le cochon est réputé sale. [1991 :84]
On peut également mentionner quelques autres phrases, groupes de mots qu’on entend assez souvent dans la vie courante et dont le sens risque d’échapper aux étrangers.
-« Ce n’est pas ma tasse de thé ! »-
Normalement, boire une tasse de thé ne pose aucun problème à personne. La tasse de thé est associée donc à un des domaines de nos compétences. Si ce n’est pas ma tasse de thé, cela veut dire que je ne peux pas accomplir cette tâche, celle-ci n’est pas dans mes compétences.
-« Il faut que je fasse des heures supplémentaires pour mettre du beurre dans les épinards ! »-
On associait toujours le mot « beurre » avec une certaine richesse et une aisance à la maison. Donc pour pouvoir vivre mieux je suis obligé de travailler plus.
-« Et voilà la cerise sur le gâteau ! »-
Le mot « gâteau » nous fait penser à la prospérité, à la réussite ou à des fêtes. Donc, un petit rien en plus de ce qu’on a déjà ne changera pas radicalement la situation, mais ce ferait toujours plaisir d’en avoir un .C’est comme une petite surprise agréable qu’on reçoit quand on est déjà suffisamment satisfait de tout ce qu’on possède.
-« Montre-nous tes tablettes de chocolat ! »-
Il s’agit tout simplement des abdominaux. Ceux-ci qui font de la musculation arrivent à travailler ces muscles de ventre de sorte qu’on les associe à des tablettes de chocolats, vu leur ressemblance.
-« C’est mon jardin secret ! »-
On recourt à cette expression lorsqu’on veut rester discret et ne pas dévoiler l’état réel des choses. Ce sont le monde intérieur et les réflexions intimes qui sont préservés.
-« Ton Jules, il viendra ce soir ? »-
On appelle par Jules un ami intime, dont les autres n’ont pas besoin de connaître le prénom.
-« Tiens, une flûte de champagne ! »-
Une flûte est une sorte de long verre à boire dont la forme fait penser à un instrument musical similaire.
"Avoir la patate!" Je n'ai pas trop la patate aujourd'hui"- en faisant allusion à une fatigue, au manque de dynamisme; ou bien "J'ai la pêche!"- en disant qu'on est en bonne forme.
« Je suis encore une fois à côté de la plaque », en parlant d'un échec.
« Je veux pas mettre tout sur le tapis », en cherchant à ne pas dévoiler la vérité.
La C.C.P. est le produit de jugements tout fait véhiculés par des locutions figurées. On peut trouver plusieurs connotations pour les animaux divers : le paon incarne l’orgueil, la couleuvre la paresse, l’âne l’entêtement, la taupe, la myopie, etc. Pourtant, il faut tenir compte que le même animal, quand il est affecté à ce genre de désignation, ne symbolise pas la même qualité ou le même défaut d’une langue à l’autre. Par ex., en français on dit « soûl comme une grive », mais exactement, il n’y a pas beaucoup de langues qui attribuent l’ivresse à la grive. « Le petit cureton ! Celui qui faisait parler la ville pour sa pitié, là à brailler avec ses lascars, et saoul comme une grive… » (L. Aragon, Les Beaux quartiers).
Certainement, toutes ces locutions appartiennent à la culture partagée. Ce qui nous intéresse ici le plus, ce sont les qualités et les défauts, associés par ces expressions aux animaux, car ceux- ci constituent la C.C.P. des mots qui les signifient. Ainsi, on peut distinguer une assignation directe :
1 carpe appelle mutité (muet comme une carpe) ;
2 pinson appelle gaieté (gai comme un pinson) ;
3 abeille appelle assiduité (laborieux comme une abeille) ;
4 un goût amer fait penser à aloès (amer comme aloès) ;
5 brillance fait penser à l’acier (briller comme l’acier).
Et une assignation indirecte :
5 escargot appelle lenteur (avancer comme un escargot) ;
6 éléphant appelle lourdeur, maladresse (l’éléphant dans un magasin de porcelaine) et rancune (avoir une mémoire d’éléphant) ;
7 locomotive fait penser au bruit (souffler comme une locomotive) ;
8 l’air fait allusion à la liberté (libre comme l’air) ;
9 un ange fait penser à la beauté (beau comme un ange).
Il ne faut pas oublier que des objets, fabriqués par l’homme ou des choses, créées par la nature, servent également de points d’ancrage à des expressions figurées qui, à leur tour, fournissent ces objets ou ces choses en charges que tout locuteur natif comprend au premier contact auditif ou visuel du mot qui fait la référence à cet objet ou à cette chose.
Ainsi les locutions « sourd comme un pot », « souple comme un verre de lampe », « dur comme une pierre » amènent les natifs à faire penser à la surdité, à la raideur physique, à la dureté morale, quand ils rencontrent les mots : pot, verre de lampe, pierre, dans des situations ou des contextes qui s’y prêtent.
Evidemment, les représentations qui sont à la base des locutions figurées, se différencient d’une langue à l’autre. Ce sont des particularités nationales des pays (le climat, la religion, l’histoire, la littérature) qui sont en cause. Par exemple, voilà les expressions, créées par l’histoire même de la France parce que ce sont des faits historiques qui étaient à la base de l’apparition des expressions figurées suivantes :
10 « Agé comme le Pont- Neuf » qui fait allusion à la date de sa construction 1578- 1607 et par la suite à l’âge véritable de l’interlocuteur en question;
11 « Arriver comme les pompiers de Nanterre » fait penser à une grande vitesse avec laquelle les pompiers accomplissaient leurs fonctions;
12 « Boire comme un Templier », l’histoire raconte que les Templiers buvaient beaucoup, dû à leurs victoires et à leurs défaites ;
13 « Lent comme Jean de Lagny » évoque la lenteur du personnage devenu populaire.
Certainement, il existe une grande quantité de locutions liées à la nature de France ; ce sont des connaissances pratiques des locuteurs natifs qui ont créé ces expressions :
18 « Droit comme un chêne (un peuplier, un sapin) » ; ces arbres nous font penser à la force, au droit et peut- être à la franchise même dans le caractère de l’interlocuteur ;
19 « Pousser comme une asperge » appelle la vitesse de la croissance ;
20 « Pur comme un lis » fait allusion à la couleur blanche de cette fleur qui était toujours le symbole de la pureté morale ;
21 « Pleurer comme un saule » évoque dans notre mémoire l’image de cet arbre, penché sur l’étang qui « pleure » dans un chagrin énorme ; évidemment, les gens peuvent se trouver dans la même situation, c’est- à- dire, pleurer sans cesse « à chaudes larmes ».
Les locutions liées au monde animal soulignent également les connaissances des natifs sur le comportement des animaux et montrent tantôt de l’affection, tantôt du mépris envers « nos petits frères » :
22 « Bête comme une oie » ;
23 « Courir comme un lapin » ;
24 « Chanter comme un rossignol (une fauvette) » ;
25 « Doux comme un agneau » ;
26 « Léger comme un papillon » ;
27 « Rusé comme un renard » ;
28 « Sourd comme une bécasse ».
La connaissance et la compréhension des locutions de ce genre augmentent la motivation des apprenants, contribuent au développement de la créativité, aux compétences langagières et interculturelles. C’est grâce à l’emploi de ces locutions que l’on fait plus d’attention aux particularités de mentalité, au comportement, aux réalités historiques et actuelles du peuple dont on étudie la langue et la culture, sans oublier l’enrichissement du vocabulaire en question.
L’objectivité de la démarche sémantique et la subjectivité de la pragmatique nous expliquent que d’une langue à l’autre des mots dits équivalents peuvent avoir des signifiés identiques et des C.C.P. différentes.
Il nous semble donc intéressant, pertinent de miser sur ce problème car celui- ci est une des stratégies importantes dans l’acquisition des compétences socio- culturelles chez les apprenants étrangers. L’objectif est de donner aux enseignants du FLE des idées- clés portants sur l’apprentissage d’une culture par le biais du lexique spécifique sous une forme d’un dictionnaire des mots à C.C.P., et qu’il soit vite accessible et qu’il ait aussi une exploitation systématique comme un vrai outil de découverte de la langue- culture à apprendre/ enseigner. Cela permettrait d’accélérer l’acquisition des compétences socio- langagières, la compréhension d’une culture de la langue cible et une insertion réussie des apprenants étrangers dans leur nouvelle société d’adoption.
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11. Zarate G., Enseigner une culture étrangère, Hachette, 1986.
Секция "Лингводидактика". Доклад Пушковой С.Б. (Франция)
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